1909 : Blériot traverse la Manche en avion

Illustration Avion Blériot 16_9

Le 25 juillet 1909, à 4h41, Louis Blériot décolle de Calais dans un avion de toile et de bois. Objectif : traverser la Manche. En 37 minutes, le Français efface 34 km d’eau et d’incertitudes. Un exploit qui propulse la France en leader de l’aviation naissante. Derrière ce vol, un homme endetté, blessé, et une époque où le ciel était une nouvelle frontière à conquérir.

Les rêveurs du ciel

En 1909, le monde a les yeux rivés sur les nuages. Alors que les frères Wright ont réalisé le premier vol motorisé en 1903, c’est en Europe, et particulièrement en France, que l’aviation devient un spectacle populaire. Les meetings aériens attirent des milliers de curieux, les journaux rivalisent de superlatifs pour décrire les « hommes-oiseaux », et les mécènes offrent des primes alléchantes. Le Daily Mail promet ainsi 25 000 francs (environ 120 000 € actuels) au premier pilote capable de relier la France à l’Angleterre par les airs. Un défi technique, mais aussi un coup de pub génial : traverser la Manche, c’est unir deux nations séparées par la mer, alors que le tunnel sous la Manche ne verra le jour que 80 ans plus tard.

La France est alors un pays de pionniers, souvent autodidactes ou ingénieurs issus de grandes écoles. Blériot, diplômé de Centrale Paris, a commencé sa carrière en fabriquant des phares pour automobiles avant de se ruiner dans l’aviation. Entre 1900 et 1909, il construit 11 prototypes, dont six finissent en flammes. En juillet 1909, il croule sous 500 000 francs de dettes (plus de 2 millions d’euros). Mais il a une arme secrète : le Blériot XI, un monoplan de 8 mètres d’envergure, en bois et toile, propulsé par un moteur Anzani de 25 chevaux.

Louis Blériot dans son monoplan
Louis Blériot à bord de son monoplan

Pourtant, la compétition est féroce. Hubert Latham, aristocrate français et pilote de l’Antoinette IV, tente sa chance le 19 juillet. Son avion, équipé d’un moteur plus puissant, tombe en mer à 15 km des côtes anglaises. Latham, imperturbable, attend les secours en fumant une cigarette. La presse française le célèbre comme un héros tragique, mais Blériot, lui, voit une opportunité. Blessé aux pieds après l’explosion de son Blériot XII une semaine plus tôt, il décide de tenter le vol coûte que coûte.

37 minutes qui changent l’histoire

Le 25 juillet 1909, à 2h du matin, Louis Blériot se réveille dans une baraque en planches près de Sangatte. Ses pieds, brûlés lors de son dernier accident, le font souffrir. Sans béquilles, il boite jusqu’à son avion, tiré hors du hangar par ses mécaniciens. Le temps est incertain, mais Alfred Leblanc, son bras droit, insiste : le vent d’est est idéal. À 4h41, après un bref essai, Blériot décolle. Son équipement ? Une montre, une boussole rudimentaire, et une bouteille d’eau. Le Blériot XI, léger mais instable, atteint péniblement 75 km/h.

Pendant 10 minutes, tout se passe bien. Puis la brume engloutit l’escorteur français Escopette, laissant Blériot seul au-dessus d’une mer uniforme. Sans repères, il navigue à l’instinct. À 5h17, il aperçoit enfin les falaises de Douvres… mais le vent le pousse vers le nord. Perdu, il suit un cargo jusqu’à repérer un drapeau tricolore agité par un journaliste français. L’atterrissage est chaotique : l’avion heurte le sol, l’hélice se brise, mais Blériot est indemne. « Et Latham ? » demande-t-il. Réponse : « Il est encore à Sangatte, en France. »

L’exploit fait la Une du Matin et du Petit Parisien. En Allemagne, le magazine Flugsport salue un « triomphe de l’ingéniosité française ». Aux États-Unis, les journaux restent sceptiques : le New York Times titre sobrement « Un Français traverse la Manche ». En France, Blériot devient une star : il reçoit 100 000 francs de primes, des contrats d’avions, et même une médaille de la Légion d’honneur. Ironie du sort, Latham retente sa chance deux jours plus tard… et échoue à nouveau. En 1922, une stèle sera érigée en son honneur au Cap Gris-Nez, mais c’est Blériot qui entre dans l’histoire.

Blériot au-dessus de la Manche
Blériot au-dessus de la Manche

Le père de l’aviation moderne

Dès 1910, il fonde une école de pilotage près de Paris, où il forme des centaines d’élèves. Ses Blériot XI se vendent comme des petits pains : près de 900 exemplaires sont produits, utilisés pour des courses, des missions militaires, ou même des tournages de films. Pendant la Première Guerre mondiale, ces avions inspirent les premiers chasseurs, et leurs ailes en toile deviennent un standard.

Blériot révolutionne aussi la réglementation. En 1911, il participe à la création des premières licences de pilote en Europe, exigeant des tests pratiques et théoriques. Une réponse aux crashs fréquents de l’époque, où n’importe qui pouvait décoller après trois tours de piste… Son école forme même des pilotes étrangers, dont les futurs as de l’aviation britannique.

Arrivée d'un Blériot sur camion (au meeting aérien de Reims 1910)
Arrivée d’un Blériot sur camion (au meeting aérien de Reims 1910)

Aujourd’hui, traverser la Manche n’est qu’une simple formalité, mais en 1909… La traversée de Blériot a ouvert l’ère du transport aérien commercial. En 1919, la première ligne régulière Paris-Londres voit le jour, avec des avions capables de transporter deux passagers… et du courrier. Quant à l’aéroport du Bourget, où Blériot atterrissait souvent, il devient dans les années 1920 un hub incontournable, accueillant Lindbergh après sa traversée de l’Atlantique en 1927.

Blériot meurt en 1936, mais son héritage survit. Ses brevets sur les commandes de vol influencent les avions modernes, et le Blériot XI est exposé au Musée des Arts et Métiers à Paris. Quant à la Manche, elle n’est plus une frontière. Chaque jour, des centaines d’avions la survolent, rendant hommage, sans le savoir, à un Français qui osa croire que le ciel appartenait à ceux qui défiaient les nuages.


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