Croyances d’hier et d’aujourd’hui
Les superstitions fascinent depuis des siècles. Elles reflètent un mélange de croyances rurales, d’influences religieuses et de légendes locales. Aujourd’hui encore, elles se manifestent dans des gestes simples ou des récits populaires. Pour un visiteur étranger, ces pratiques mystérieuses offrent une autre clé pour comprendre l’histoire et la culture françaises.
Croyances et peurs médiévales
Les superstitions françaises tirent leurs origines d’une période où la foi, la peur et les traditions orales se mêlaient de manière très forte. Au Moyen Âge, on attribue souvent les maladies et les mauvaises récoltes à des forces invisibles. Les habitants prient des saints protecteurs, tout en s’appuyant sur des rites venus de temps plus anciens. Dans les campagnes, il n’est pas rare d’entendre parler de loups-garous ou de fontaines capables de guérir certaines fièvres.
Le chat noir symbolise déjà un mauvais présage à cette époque. Au XIVᵉ siècle, quelques récits indiquent qu’apercevoir ce félin sous la pleine lune peut attirer la malchance. Cette idée se renforce avec la montée de la peur de la sorcellerie : des femmes sont accusées de participer à des sabbats, où elles concluraient des pactes avec le diable. Le peuple s’inquiète du « mauvais œil » et cherche souvent une protection auprès des reliques d’églises ou de Vierges noires, que l’on peut encore apercevoir dans certaines régions, en Auvergne ou Occitanie.
L’historien Jean-Claude Schmitt (La Raison des gestes dans l’Occident médiéval) explique que les gens de cette époque ont tendance à voir des signes mystiques dans chaque événement. Un orage qui détruit un champ ou une épidémie soudaine est vite perçu comme la conséquence d’un acte jugé « impur ». Les légendes locales foisonnent aussi autour d’arbres séculaires et de sources aux vertus miraculeuses. Dans la Normandie ou le Berry, des histoires courent encore aujourd’hui sur des points d’eau où l’on déposait des pièces pour conjurer la malchance.
Cette fusion entre foi chrétienne et rites plus anciens fait du Moyen Âge un terreau fertile pour le développement de superstitions durables. Malgré l’action de l’Église, qui tente de lutter contre les « supercheries diaboliques », ces croyances survivent et s’adaptent au fil du temps.
Astrologie et Renaissance
Entre le XVIᵉ et le XVIIIᵉ siècle, la Renaissance et l’époque moderne voient se multiplier les arts divinatoires dans les cercles du pouvoir. Catherine de Médicis (1519-1589), reine de France, en est très friande. Elle s’entoure de mages et d’astrologues, dont l’Italien Cosimo Ruggeri. Il est à la fois confident, conseiller et parfois craint pour ses prédictions. Plusieurs sources évoquent son rôle dans l’orientation de certaines décisions, surtout politiques.
Cosimo Ruggeri est réputé pour son savoir en astrologie. On raconte qu’il étudie la position des planètes pour conseiller Catherine de Médicis sur le meilleur moment pour signer un traité ou organiser une alliance. Il lit parfois les lignes de la main et se dit capable de déceler des complots à venir. D’après la légende, Ruggeri aurait prédit à Catherine de Médicis qu’elle mourrait « près de Saint-Germain », ce qui l’aurait incitée à stopper la construction du palais des Tuileries.
En dehors de la cour, le peuple se montre plus simple dans ses pratiques : on touche du bois, on jette du sel par-dessus son épaule, on porte des grigris (petits objets censés éloigner le malheur). Les marchands itinérants vendent des amulettes ou des livrets de « secrets » contenant des formules pour guérir des maux du quotidien. Certains procès en sorcellerie continuent, même si le pouvoir tente de freiner ces accusations qui dérapent parfois.
Les ex-voto, ces offrandes déposées dans les églises, se multiplient aussi. En remerciement d’un miracle ou d’une protection, on accroche aux murs des objets, des statuettes ou des images. Dans l’Ouest de la France, il existe encore des sanctuaires où s’entassent d’anciens ex-voto, témoins d’une forte croyance dans l’intervention divine. Ces pratiques, à la frontière du religieux et du magique, perdurent jusqu’à nos jours.
Modernisme et superstition
Le XIXᵉ siècle amorce la révolution industrielle et l’expansion de l’instruction publique. La société progresse vers une pensée plus scientifique, mais les superstitions ne disparaissent pas. Les porte-bonheur (fer à cheval, trèfle à quatre feuilles, patte de lapin, etc.) restent très recherchés. Selon André Varagnac (Civilisation traditionnelle et genres de vie), plus de la moitié des foyers dans les campagnes conservent un objet protecteur.
Le Vendredi 13 devient un symbole double : pour certains, c’est un jour néfaste qu’il vaut mieux éviter, tandis que d’autres se précipitent sur les jeux de hasard. Plusieurs compagnies de transport profitent de cette croyance pour éditer des billets spéciaux ou proposer des tarifs réduits. Les journaux relatent parfois des histoires étranges, où la superstition semble changer le destin d’une personne ou d’une famille.
Dans certaines régions, on continue à transmettre des récits comme la Bête du Gévaudan (sud du Massif central) ou la Vouivre (dans l’Est). Les familles racontent ces légendes pour expliquer des disparitions ou des mystères liés à la nature. Au tournant du XXᵉ siècle, le spiritisme fait fureur dans les salons bourgeois. Les textes d’Allan Kardec influencent une partie de la population qui cherche à communiquer avec l’au-delà. Des artistes célèbres organisent des séances de tables tournantes pour invoquer l’esprit d’un proche défunt ou tenter de capter des messages de « l’autre monde ».
L’Église catholique, elle, reste prudente sur ces pratiques, jugeant parfois qu’il s’agit de dérives éloignées de la vraie foi. Malgré les mises en garde, la curiosité pour l’ésotérisme ne cesse de grandir. Dans les archives de plusieurs diocèses, on trouve des récits de processions destinées à bénir un lieu jugé maudit ou à éloigner la « présence » d’une âme tourmentée.
Idolâtrie et ère numérique
À l’ère du numérique et de la science, les superstitions conservent une place dans le quotidien de nombreux Français. Un sondage IFOP indique qu’environ un tiers des Français s’avouent superstitieux. Ils évitent de passer sous une échelle, croisent les doigts pour la chance ou repoussent un voyage si le signe ne leur semble pas favorable. Des sportifs de haut niveau affirment qu’ils respectent scrupuleusement un rituel avant chaque match, par exemple en portant la même chaussette « porte-bonheur » ou en écoutant toujours la même chanson pour se « booster ».
Les légendes régionales survivent aussi. En Vendée, on parle d’esprits qui rôdent dans certaines forêts. Dans le Morbihan, les korrigans (petits êtres farceurs) font encore partie des contes locaux. En Haute-Savoie, les histoires de fantômes liés aux châteaux d’altitude alimentent la curiosité. Les médias consacrent régulièrement des sujets au fameux vendredi 13, et la Française des Jeux communique sur l’augmentation des paris ce jour-là.
Sur le plan touristique, certains châteaux de la Loire proposent des visites à thème « ésotérique ». Le Mont-Saint-Michel (Normandie) organise parfois des balades nocturnes agrémentées d’anecdotes mystérieuses. Les visiteurs étrangers découvrent ainsi un visage un peu différent de la France, loin de l’image des grands musées ou de la gastronomie chic.
Avec le numérique, la superstition change de forme. Forums en ligne sur l’astrologie, salons du paranormal avec des stands de cartomancie, ou encore ventes de talismans artisanaux. D’anciens gestes demeurent, parfois sous une forme moins religieuse et plus « bien-être » ou « énergétique ». Ainsi, certaines familles placent un petit récipient de sel dans un coin de la pièce pour « purifier » l’atmosphère, évoquant un rite de protection sans forcément invoquer le diable ou les esprits malins.