French Paradox : La cuvée des mensonges

Illustration Repas French Paradox 16_9

Ils boivent du vin, mangent gras, et vivent plus longtemps ? Ce tableau flatteur des Français a nourri un mythe mondial : le “French Paradox”. Mais derrière les belles histoires se cache parfois de jolis mensonges. Et si, finalement, on s’était fait rouler dans la farine ?

Le faux miracle

Au départ, il n’y a ni miracle, ni vin. En 1981, des chercheurs français publient une étude sur la faible mortalité cardio-vasculaire en France malgré une alimentation riche en graisses saturées. Rien sur l’alcool. Pas de lien direct avec le vin. Juste un constat statistique : les Français semblent moins touchés par les infarctus que d’autres pays de l’OCDE. Pierre Ducimetière, épidémiologiste, se garde bien de toute explication simpliste. Il évoque des hypothèses mais refuse les raccourcis.

Mais ce terrain ambigu est propice aux interprétations. En 1986, l’Office International de la Vigne et du Vin (OIV) évoque pour la première fois un “French Paradox”. L’idée est semée : et si le vin expliquait cette bonne santé française ? Aucun fondement solide, mais une comparaison flatteuse entre les bons vivants français et les mangeurs de hamburgers américains.

En 1989, le concept franchit une nouvelle étape. George Kernodle, un professeur de théâtre américain, avance dans un ouvrage que les antioxydants du vin seraient bénéfiques. Le théâtre, le vin, la santé… pourquoi pas après tout ? Ce glissement prépare le terrain pour une future exposition médiatique.

Et puis arrive la consécration. En 1991, l’émission américaine 60 Minutes diffuse un reportage avec le chercheur français Serge Renaud (petit-fils d’un vigneron du Bordelais). Devant des millions de téléspectateurs, il affirme que le vin rouge à doses modérées protège le cœur. Le ton est prudent, mais l’image est soignée : deux verres de Bordeaux, une caméra et un scientifique. Résultat ? Les ventes de vin rouge bondissent de 39 % aux États-Unis en un an.

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Succès médiatique et récupération par le lobby

Pourquoi ça marche si bien ? Parce que c’est une belle histoire. Le gras et le bon vin qui protègent la santé, c’est plus vendeur qu’un régime à l’eau. L’hypothèse est rassurante : pas besoin de changer ses habitudes, il suffit de bien boire. On évoque le resvératrol, un antioxydant présent dans la peau et les pépins du raisin, comme bouclier miracle. L’idée d’un médicament naturel, directement dans nos verres, séduit.

Très vite, la prudence scientifique laisse place au lobbying. Le vin devient officiellement “bon pour la santé”, du moins dans les slogans. Le secteur viticole s’empare du sujet, finance des campagnes, glisse ses messages jusque dans les musées. La Cité du Vin à Bordeaux relaie des messages positifs sur le vin et la santé… tout en négligeant les effets négatifs pourtant documentés. Ce n’est plus de l’information, c’est du marketing.

Pendant ce temps, de nombreux chercheurs appellent à la retenue. Des études commencent à souligner les biais de la thèse. Les polyphénols ? Leur efficacité in vitro ne garantit rien dans le corps humain. Le resvératrol ? Il passe difficilement la barrière intestinale. Les liens entre vin rouge et bonne santé relèvent plus de la science-fiction que de la médecine.

Même les chiffres de santé sont remis en question. En 2009, Pierre Ducimetière, le même chercheur qu’en 1981, revient sur ses données. Il montre que la mortalité cardio-vasculaire varie fortement selon les régions, et que les données françaises étaient largement sous-déclarées. À Toulouse, on meurt autant qu’en Espagne. À Lille, autant qu’en Belgique. L’exception française s’effrite.

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La chute du colosse

À partir des années 2010, les études contredisant le “French Paradox” se multiplient. L’une des plus marquantes paraît en 2018 dans The Lancet. 1 800 chercheurs, 195 pays, 28 millions de personnes étudiées sur 25 ans. Leur conclusion ? Même un seul verre par jour augmente le risque de cancer ou de maladies chroniques. Aucun effet protecteur ne peut être affirmé. Le vin ne soigne pas. Il nuit, et ce dès le premier verre.

Cette étude sonne le glas du paradoxe. Pourtant, le discours perdure. Le lobby continue d’entretenir le mythe du “petit verre qui fait du bien”. Oui, boire un canon, c’est un plaisir pour le palais et un moment partagé quand on le savoure entre amis. Mais cela n’en fait pas quelque chose de bon pour la santé. Bien au contraire.

La confusion s’installa aussi à cause d’un choix de mots trompeur. Dans les études, on regroupa sous le terme “abstinents” à la fois les anciens alcooliques malades et ceux qui n’avaient jamais bu. Résultat : leur espérance de vie était plus basse… alors qu’ils n’avaient rien en commun. Un biais méthodologique crapuleux. Et un mensonge par omission des médias, qui ont relayé sans broncher une lecture biaisée des faits.

Le lobby de l’alcool continue de promouvoir une consommation “modérée”. Il affirme qu’avec pondération, la boisson est inoffensive, presque vertueuse. Mais la science ne connaît pas ce langage. Elle parle de risque. Et ce risque commence dès le premier verre : risque de cancer et de maladies cardiovasculaires. Mais aussi de dépendance, insidieuse et progressive. Reste une leçon à tirer sur la tombe du “French Paradox” : la science doit rester entre les mains des scientifiques, pas sous l’emprise des intérêts privés.

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Baguette Bardot

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