Le souffle révolutionnaire de la Marseillaise

Illustration Rouget de Lisle la Marseillaise 16_9

La Marseillaise naît en 1792, en pleine révolution, et passe des chambrées aux places publiques avant d’entrer dans le protocole républicain. Elle peut captiver et émouvoir le monde en seulement quelques notes, mais qu’est-ce qui la rend si particulière ?

La fièvre révolutionnaire

En avril 1792, la Révolution bat son plein et la France vient de déclarer la guerre à l’Autriche. À Strasbourg, le maire Philippe-Frédéric de Dietrich, proche des milieux patriotes, échange souvent avec les officiers. Lors d’une de ces soirées, il aurait demandé à un jeune capitaine, de composer un chant pour soutenir l’armée du Rhin.

Un jeune officier du génie, Claude Joseph Rouget de Lisle, alors en poste à Strasbourg, relève le défi. Dans la nuit du 25 au 26 avril 1792, dans un élan patriotique, il compose à la fois la musique et les paroles. Le lendemain matin, il présente son œuvre, qu’il intitule naturellement Chant de guerre pour l’armée du Rhin. Le morceau est joué pour la première fois chez le maire, Rouget de Lisle la chantant lui-même.

Le plus étrange reste sans doute l’origine et la destinée de son auteur. Rouget de Lisle n’était pas un radical et encore moins un révolutionnaire. En réalité, c’était un monarchiste, fidèle au roi Louis XVI. Ironie de l’histoire, l’homme qui donna à la République son hymne le plus célèbre sera emprisonné sous la Terreur. Accusé de sympathies royalistes, il ne doit sa survie qu’à la chute de Robespierre en juillet 1794. Il survit ensuite en exerçant comme ingénieur militaire et professeur de dessin. De Lisle termine sa vie modestement, vivant grâce à une petite pension accordée sous la Monarchie de Juillet, bien loin de la gloire que connaît son chant.

Baguette Rouget de Lisle Prison

Le long voyage d’un chant devenu hymne

Mais comment ce chant de guerre se transforme-t-il en hymne national ? Le tournant vient d’un groupe de volontaires venus de Marseille. À l’été 1792, ces fédérés montent à Paris pour défendre la Révolution. En chemin, ils reprennent le Chant de guerre pour l’armée du Rhin, qu’ils font résonner dans chaque ville traversée. Leur arrivée triomphale à Paris et leur participation à la prise des Tuileries popularisent le chant. Les Parisiens, ignorant son origine, l’appellent bientôt « l’hymne des Marseillais », puis simplement « La Marseillaise ».

Son impact est immédiat. Contrairement à d’autres hymnes nationaux, son adoption est spontanée, née du souffle du peuple plutôt que d’une décision officielle. Le God Save the King britannique, par exemple, s’impose par la tradition. Le Star-Spangled Banner américain est un poème mis en musique bien plus tard. La Marseillaise, elle, vient du terrain. C’est un chant né dans la rue parmi les hommes avant d’être reconnu par les institutions. Elle est officiellement déclarée hymne national le 14 juillet 1795. Son parcours, pourtant, n’est pas linéaire : interdite sous l’Empire et la Restauration, réhabilitée en 1848, elle est finalement consacrée par la IIIᵉ République en 1879. Chaque retour de la Marseillaise coïncide avec un sursaut républicain.

Ce qui la rend si particulière, c’est aussi sa portée. Elle n’est pas seulement l’hymne de la France : elle devient, au XIXᵉ siècle, un chant de liberté repris bien au-delà de ses frontières. Durant les révolutions de 1830 et 1848 en Europe, elle est traduite, adaptée, imitée. On en chante des versions polonaise, italienne ou allemande. Partout où l’on se bat pour la liberté, elle trouve son écho. Elle devient alors le symbole international de la résistance aux tyrannies.

Rouget de Lisle, manuscrit de la Marseillaise © Assemblée nationale
Rouget de Lisle, manuscrit de la Marseillaise © Assemblée nationale

Paroles sans frontières

C’est sans doute l’aspect le plus grinçant et le plus débattu. La Marseillaise n’est pas un hymne paisible qui célèbre la nature ou la paix. C’est un appel direct à la lutte, un cri de défense nationale. Le célèbre vers « Qu’un sang impur abreuve nos sillons » peut frapper par sa violence. Mais replacé dans le contexte de 1792, il prend tout son sens : la France est envahie, la Révolution menacée. Ce « sang impur » ne vise pas une race ni un peuple, mais les ennemis de la liberté, ceux qui servent les monarchies étrangères. Leur sang, versé sur le sol français, devient le symbole de la défense de la patrie.

Aux armes, citoyens !
 Formez vos bataillons !
 Marchons, marchons !
 Qu’un sang impur…
 Abreuve nos sillons !

Refrain de la marseillaise
Baguette Gainsbourg

Ces paroles étonnent encore aujourd’hui, elles peuvent sembler appartenir à un autre temps. Pourtant, la plupart des Français ne les prennent plus au pied de la lettre. Ces mots viennent d’un temps où la liberté se défendait les armes à la main. Ils rappellent le prix du sang payé pour fonder la République et la guerre civile qui a suivi. C’est cette tension entre passé et présent qui fait de La Marseillaise un hymne vivant. Elle n’est pas figée : elle se rejoue, se réinterprète, se redécouvre au fil du temps. Des versions classiques aux reprises rock ou pop, chaque époque y projette sa propre idée de la France.


Baguette Piaf Micro

Publications similaires

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Le plus populaire
Le plus récent Le plus ancien
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires