Les héros oubliés de Courrières, 1906
En 1906, une catastrophe frappe Courrières, un paisible village minier du nord de la France. Ce jour-là, un terrible accident bouleverse la vie de milliers de familles, laissant une marque indélébile dans l’histoire minière française et européenne.
Le cœur de Courrières
Courrières, au début du XXe siècle, est un village animé par l’activité minière. Les habitants vivent au rythme des coups de pioche et des sifflets des mines. La mine de Courrières, exploitée par la Compagnie des mines de houille de Courrières, est l’une des plus importantes de la région. Pour beaucoup, c’est une source de vie, un moyen de subvenir aux besoins de leurs familles.
Les journées commencent tôt, souvent avant l’aube. Les mineurs descendent dans les entrailles de la terre, armés de lampes, prêts à extraire le précieux charbon. La mine est un lieu sombre et dangereux, mais pour ces hommes, c’est le quotidien. Les galeries étroites résonnent des bruits de pioches et de chariots. Le travail est éreintant, mais les mineurs sont fiers.
Malheureusement, cette vie souterraine n’est pas sans risques. Les effondrements, les explosions de grisou, et les incendies sont des dangers constants. En 1906, la mine de Courrières compte 13 puits en activité. Le charbon représente la prospérité, l’emploi, et une certaine stabilité économique pour les familles des mineurs.
Les signes avant-coureurs
Depuis plusieurs jours, des signes inquiétants apparaissent dans la mine. Des odeurs de gaz se font sentir, des fissures se forment dans les parois. Les anciens disent que la mine murmure, qu’elle prévient de sa colère. Mais les responsables ferment les yeux. Le charbon doit sortir, coûte que coûte.
Quelques semaines avant la catastrophe, un incendie se déclare dans une galerie. Mal maîtrisé, il semble éteint, mais continue de couver sournoisement dans les profondeurs. Les mineurs, conscients du danger, redoublent de prudence, mais les consignes de sécurité restent insuffisantes face à la menace qui grandit.
L’air se charge de poussières de charbon, créant un mélange explosif. Le « coup de poussier », un phénomène redouté, est sur toutes les lèvres. Ce terme désigne une explosion violente due à la combustion rapide des poussières de charbon en suspension. Une simple étincelle peut suffire à déclencher une déflagration capable de ravager toute la mine.
Les mineurs, pourtant habitués aux conditions extrêmes, commencent à craindre pour leur vie. Mais l’extraction du charbon ne s’arrête pas, et les responsables de la mine minimisent les risques. L’incendie non maîtrisé est un avertissement. Pierre Simon, le délégué mineur demande que personne ne descende. Mais son avis n’est pas suivi.
Le jour fatal
Le 10 mars 1906, à 6 h 34, une explosion retentit. La terre se met à trembler. Une boule de feu traverse plus de cent kilomètres de galeries à plus de 3000 km/h, détruisant tout sur son passage. L’air se remplit de poussière et de gaz. Le souffle est si fort qu’un cheval est projeté en l’air à la fosse n°3. En quelques secondes, la mine de Courrières devient un enfer sur terre.
Les cris des mineurs résonnent dans les ténèbres. Certains tentent de fuir, mais les galeries sont effondrées, les issues bloquées. Le feu et le gaz toxique se répandent rapidement. Ceux qui ne sont pas morts sur le coup suffoquent, piégés dans ce labyrinthe enflammé.
L’explosion est si violente que les maisons aux alentours tremblent, et les familles, terrifiées, se précipitent vers l’entrée de la mine. À la surface, c’est la panique. Les familles se rassemblent, espérant apercevoir un père, un frère, un fils. Les heures passent, l’angoisse grandit. Les secours s’organisent, mais la tâche est immense. Il faut déblayer les décombres, sécuriser les galeries, retrouver les survivants.
Les premiers corps sont remontés à la surface. Des hommes carbonisés, mutilés, méconnaissables. En tout, 1 099 mineurs perdent la vie ce jour-là. La catastrophe de Courrières devient la pire tragédie minière d’Europe. Parmi les survivants, certains errent, hébétés, tandis que d’autres tentent désespérément de retrouver leurs camarades.
Les équipes de secours travaillent sans relâche, mais les conditions sont épouvantables. Les gaz toxiques compliquent les opérations, et chaque minute compte. Certains mineurs sont retrouvés vivants, après des heures d’angoisse passées dans l’obscurité totale, mais beaucoup restent prisonniers des décombres.
Le drame humain et social
La catastrophe de Courrières suscite une vague d’émotion et de colère, surtout en raison de la gestion controversée des secours. Le 13 mars, lors des funérailles des premières victimes à Billy-Montigny, 15 000 personnes huent le directeur de la compagnie, le qualifiant d’assassin. La foule scande « Vive la révolution ! Vive la grève ! ». Le jour suivant, les mineurs refusent de retourner travailler. Les syndicats lancent un appel à la grève qui s’étend rapidement aux puits voisins, puis à l’ensemble des bassins miniers français et même jusqu’au Borinage en Belgique. Le 16 mars, le nombre de grévistes atteint 25 000, puis 60 000. Le ministre de l’Intérieur, Georges Clemenceau, déploie 30 000 gendarmes et soldats, envoyant treize trains de renforts militaires. De nombreuses arrestations sont effectuées.
La rage des mineurs s’intensifie lorsqu’on découvre des survivants bien après l’arrêt des secours, alimentant les accusations selon lesquelles la Compagnie de Courrières aurait laissé des victimes enterrées vivantes. La grève s’intensifie et, le 23 avril, un officier de l’armée est tué. À la fin du mois, malgré la répression et les difficultés financières des familles des mineurs, le patronat cède et accorde des augmentations de salaires. Le travail reprend début mai.
Cette catastrophe déclenche une vague de générosité sans précédent en France et en Europe, amassant 6,5 millions de francs-or. La compagnie minière distribue 2,2 millions de francs aux ayants droit et verse des rentes annuelles de 500 000 francs aux familles. L’événement provoque une crise politique et un mouvement social menant au rétablissement du repos hebdomadaire.