Pourquoi n’a-t-on jamais abrogé le Code noir ?

Illustration Livre Code Noir 16_9

Promulgué en 1685 sous Louis XIV, le Code Noir encadrait l’esclavage dans les colonies. Aboli en 1848, il n’a pourtant jamais été rayé des textes de loi… jusqu’à ce que le Premier ministre François Bayrou ne promette récemment d’y remédier.

Son instauration sous Louis XIV

Tout commence avec la canne à sucre, cette denrée précieuse qui fait la fortune des Antilles françaises au XVIIe siècle. Les plantations demandent une main-d’œuvre abondante, et les « trente-six mois » (ces engagés européens) ne suffisent plus. Louis XIII autorise donc la traite négrière dès 1642, ouvrant la voie au système de l’esclavage. Quand Louis XIV monte sur le trône, il faut organiser tout cela : le Code Noir naît de cette nécessité pratique, sous la plume du ministre Colbert.

La religion catholique sert de caution morale à ce texte. Le préambule évoque le devoir du Roi de maintenir la discipline catholique dans ces terres lointaines. Dès l’article 1, les Juifs sont expulsés des colonies comme « ennemis déclarés du nom chrétien ». Paradoxalement, le Code ordonne aussi le baptême des esclaves , reconnaissant ainsi qu’ils ont une âme, tout en leur refusant la liberté.

Entre perruques poudrées et jardins impeccables, c’est à Versailles que fut signé ce texte organisant le marquage au fer des fugitifs. Mais aussi la confiscation des enfants nés d’un maître et de son esclave.

Edit du Roy, 1685

Le contenu du Code Noir

Le Code Noir est une liste de 60 articles aussi précise qu’implacable. Quelques extraits :

  • Article 3 : Toute religion non catholique est interdite. Pas de tambours, ni de rites africains.
  • Article 9 : Un enfant né d’un maître et de son esclave devient lui-même esclave… sauf si le maître épouse la mère (l’affranchissant du même coup).
  • Article 16 : Interdiction aux esclaves de se rassembler, même pour des noces.
  • Article 38 : Un esclave en fuite se fait couper l’oreille au 1er mois, le jarret au 2e, et est exécuté au 3e.
  • Article 44 : Les esclaves sont déclarés « meubles » (biens mobiliers). On peut les vendre, les hypothéquer, les partager en héritage comme une table ou un cheval.

Curieusement, le Code prévoit aussi des « protections » :

« Les maîtres seront tenus de fournir chaque semaine[…] deux pots et demi de farine de manioc […] et deux livres de bœuf salé » (Article 22).

Il interdit théoriquement la torture ou le meurtre d’un esclave par son maître, et oblige à enterrer les baptisés en terre chrétienne. Des mesures rarement appliquées.

La logique du Code Noir est claire : transformer l’esclave en outil de production docile. Baptisé mais sans âme juridique, nourri mais sacrifiable, marié mais séparable de sa famille lors des ventes. Un paradoxe, résumé par l’article 26 autorisant les esclaves à porter plainte pour sévices… tout en précisant dans l’article 30 que leur témoignage n’a pas de valeur probante et ne peut servir que d’indice pour éclairer le juge.

Article XXVI du Code Noir
Article 26 du Code Noir

Abolition inachevée et sursaut politique

Après la Révolution française, l’esclavage est aboli une première fois en 1794, dans un élan de liberté et d’égalité. Mais cet espoir est de courte durée. En 1802, Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage dans les colonies, au nom des intérêts économiques de la France.

Le 27 avril 1848, la IIe République abolit l’esclavage définitivement. Mais elle oublie un détail : abroger le Code Noir qui l’organisait ! Le décret de Victor Schœlcher, sous-secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies, se contente de rendre les esclaves « libres », sans pour autant effacer le texte fondateur.

En mai 2025, le député Laurent Panifous (groupe Liot) interpelle le gouvernement : « Si l’on peut croire que le décret de l’abolition de l’esclavage de 1848 a abrogé le Code noir, il n’en est rien ». François Bayrou, alors Premier ministre, reconnaît son ignorance du sujet : « Je découvre cette réalité juridique que j’ignorais absolument ». Il promet immédiatement de présenter un texte au Parlement pour acter l’abolition de cette ancienne ordonnance royale.

Abolition de l'esclavage, François Auguste Biard,1849
Abolition de l’esclavage, François Auguste Biard,1849

Baguette Savante Marie Curie

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