Quand la Seine envahit Paris en 1910
En janvier 1910, la ville de Paris est confrontée à l’une des plus grandes inondations de son histoire. La Seine, qui traverse la capitale française, déborde et paralyse la ville pendant plusieurs semaines. Les Parisiens assistent alors à un spectacle aussi impressionnant que désastreux, affectant la vie quotidienne et l’architecture.
Le saviez vous ?
Lors de la crue de 1910, les ours du Jardin des Plantes ont dû être évacués en urgence ! Leur fosse inondée, ces animaux tentaient de nager tant bien que mal, attirant une foule de curieux. Les autorités ont dû les déplacer vers des cages temporaires plus sûres, laissant même un ours blanc sur place, car il était jugé bon nageur.
Chronologie de la crue de 1910
- Janvier 1910 : Les pluies torrentielles augmentent le niveau de la Seine.
- 18 janvier 1910 : Premier bulletin annonçant la montée des eaux.
- 22 janvier 1910 : La Seine atteint les 6 mètres.
- 28 janvier 1910 : La Seine atteint son point culminant à 8,62 mètres.
- Mars 1910 : La décrue commence progressivement.
- 15 mars 1910 : La Seine retrouve son lit.
Un début inattendu
À l’hiver 1910, Paris est confrontée à des conditions climatiques extrêmes. L’été précédent a été pluvieux, saturant les sols d’eau. À l’automne, des pluies torrentielles et des chutes de neige s’abattent sur toute l’Europe, gonflant les affluents de la Seine, comme la Marne et l’Yonne. Dès janvier, le niveau de la Seine monte rapidement, surprenant les autorités qui n’ont pas anticipé un tel phénomène.
Le 18 janvier 1910, un bulletin officiel annonce la crue. Mais l’avertissement est sous-estimé par les ingénieurs de la ville. En quelques jours, la Seine sort de son lit, déborde dans les quartiers bas, envahit les égouts et le métro. Paris est soudainement coupée en deux par une mer intérieure. La ville, alors l’une des plus modernes au monde, est paralysée. La montée des eaux atteint son pic le 28 janvier avec une hauteur de 8,62 mètres au pont de la Tournelle. Cet événement devient la deuxième plus grande crue enregistrée après celle de 1658 (8,81 mètres).
Paris sous les eaux
La crue de 1910 transforme Paris en un véritable marécage. Douze des vingt arrondissements de la capitale sont touchés, des quartiers entiers sont submergés. Des lieux symboliques comme le Louvre, le Petit Palais et la gare Saint-Lazare se retrouvent les pieds dans l’eau. Contrairement aux recommandations de l’ingénieur Eugène Belgrand, deux lignes de chemin de fer ont été construites le long de la Seine, contribuant à la propagation rapide de l’inondation dans le centre-ville.
Les nouvelles infrastructures de transport, symbole de la modernité de Paris, jouent contre elle. Le métro, avec ses galeries souterraines, devient un vecteur de l’eau, qui se répand à travers les tunnels et paralyse le réseau. Quatre des dix gares de la ville, dont celles d’Orsay, des Invalides et de Lyon, sont complètement inondées, rendant impossible le trafic ferroviaire. Le métro, alors en pleine expansion, voit plusieurs de ses lignes noyées, forçant les autorités à arrêter l’électricité pour éviter tout danger. Les stations de métro transformées en lacs et la gare de Lyon remplie d’eau ajoutent une touche surréaliste à ce drame.
Secours et organisation
Devant l’ampleur de la catastrophe, le préfet de la Seine, Lépine, convoque une session extraordinaire du conseil municipal le 26 janvier. Les secours sont alors gérés par un mélange d’acteurs : les pompiers de Paris, la police, mais aussi l’armée. Le ministère de la Marine dépêche des marins bretons avec 300 canots pliables. Ces petites barques permettent de transporter les sinistrés dans les quartiers inaccessibles. L’intervention des marins est saluée par la population parisienne, qui perçoit alors ces hommes comme des héros, contribuant à améliorer la réputation des Bretons dans la capitale.
Au total, plus de 150 000 personnes sont sinistrées, et 20 000 bâtiments sont inondés. La banlieue parisienne est encore plus sévèrement touchée, forçant 200 000 habitants à chercher refuge dans Paris. L’eau remonte dans les immeubles, envahit les caves et met en péril les fondations de nombreux bâtiments. Des pompes d’épuisement sont mises en place dans des points stratégiques de la ville pour évacuer l’eau rapidement. Cependant, l’utilisation de ces pompes provoque parfois des affouillements (érosion des sols par des courants trop forts), entraînant l’effondrement de plusieurs maisons.
Une vie quotidienne chamboulée
Avec la crue, la modernité parisienne s’effondre. L’électricité, alimentée par des usines inondées, est coupée. Le métro, alimenté en courant continu, cesse de fonctionner. Les tramways, chevaux et omnibus tirés par des chevaux reviennent en service. Pendant la crue, environ 75 000 chevaux, déjà utilisés pour les transports et les marchandises, deviennent essentiels pour le ravitaillement. Ironiquement, les vieux systèmes de transport, relégués au passé, redeviennent indispensables.
L’industrie est également frappée de plein fouet. Les entrepôts de Bercy, le plus grand complexe de stockage de vins et d’alcools de Paris, se transforment en un lac de 5 mètres de profondeur, avec des tonneaux de vin flottant librement. L’odeur d’alcool embaume tout le quartier. Cet épisode devient l’un des symboles de la crue de 1910, créant une image marquante pour les contemporains. Mais la ville échappe à une crise alimentaire majeure, car les Halles centrales, centre névralgique de l’alimentation parisienne, sont miraculeusement épargnées par l’eau.
Après la crue
La décrue commence lentement en mars, mais le retour à la normale est long et compliqué. L’eau, en se retirant, laisse derrière elle des tonnes de boue et des débris. Des risques sanitaires apparaissent rapidement. La désinfection des caves inondées devient une priorité. Les rues de la ville sont badigeonnées de chaux vive, un désinfectant alors couramment utilisé. Les mairies distribuent ce produit aux habitants pour qu’ils puissent traiter eux-mêmes leurs habitations.
Les conséquences de la crue de 1910 sont multiples. Les pouvoirs publics lancent des projets pour améliorer la sécurité de Paris face aux inondations : construction de barrages réservoirs en amont de la Seine, suppression de certaines écluses gênantes et surélévation des parapets. Malheureusement, la Première Guerre mondiale retarde la mise en œuvre de nombreux projets, et il faut attendre les années 1950 pour voir la finalisation de certaines de ces mesures.