Stavisky, l’escroc qui fit trembler la République
L’affaire Stavisky est l’une des plus grandes escroqueries de l’histoire de France, ayant provoqué un scandale qui a secoué la Troisième République. Alexandre Stavisky, un homme d’affaires russo-français, a réussi à orchestrer une vaste fraude financière qui a culminé en 1934, entraînant des répercussions politiques majeures. Explorons la méthode « Stavisky » et ses conséquences pour le pays.
La France et ses scandales financiers au début du XXe siècle
Le début du XXᵉ siècle en France est marqué par une série de scandales politico-financiers qui ébranlent la République et révèlent les failles du système. L’affaire de Panama, éclatant en 1892, est l’un des premiers grands scandales de cette époque. Des milliers de Français sont ruinés après avoir investi dans des actions pour le projet de canal de Panama, manipulées par des politiciens et des financiers corrompus. Ce scandale met en lumière la collusion entre le monde politique et les milieux d’affaires, un thème qui sera récurrent dans les décennies suivantes.
L’affaire Dreyfus, bien qu’elle soit d’abord une affaire judiciaire et politique, révèle également des tensions sociales et un antisémitisme latent, exacerbant les divisions au sein de la société française. Elle montre comment la manipulation de l’opinion publique et les erreurs judiciaires peuvent entraîner des crises profondes.
Au cours des années 1920, l’affaire Marthe Hanau vient s’ajouter à la liste des scandales financiers. Hanau, en tant que directrice de journaux financiers, monte un système de Ponzi qui ruine des milliers d’épargnants. Son arrestation en 1928 et son suicide en 1935 marquent une nouvelle étape dans la méfiance du public envers les institutions financières.
C’est dans ce contexte de méfiance et de tensions que l’affaire Stavisky émerge, alimentée par une économie en difficulté après le krach de 1929 et un climat politique instable.
Le personnage Stavisky
Né le 20 novembre 1886 à Slobodka, dans l’Empire russe (aujourd’hui en Ukraine), Alexandre Stavisky émigre en France avec sa famille en 1898. Ses parents, des juifs d’origine modeste, s’installent à Paris où son père, chirurgien-dentiste, tente de reconstruire une vie dans un contexte difficile. Naturalisé en 1910, Stavisky grandit dans un environnement relativement modeste, mais développe très tôt un goût pour le luxe et les affaires douteuses.
Après avoir quitté l’école sans diplôme, Stavisky commence à s’impliquer dans des escroqueries mineures. Il se fait rapidement un nom dans les milieux mondains parisiens grâce à son charisme et son audace. Ses premières escroqueries impliquent la création de sociétés fictives, le détournement de fonds et la manipulation d’investisseurs crédules.
Au fil des années, Stavisky perfectionne ses méthodes et s’entoure d’un réseau de complices influents, comprenant des politiciens, des magistrats et des policiers. En 1926, il est incarcéré pour une affaire de chèques sans provision, mais parvient à obtenir une libération anticipée grâce à des certificats médicaux falsifiés. Ce passage en prison ne fait que renforcer sa détermination à poursuivre ses activités criminelles à plus grande échelle.
Marié en 1927 à Arlette Multault, une ancienne mannequin, Stavisky continue de mener une vie de luxe, multipliant les projets financiers douteux. Il acquiert une certaine légitimité en investissant dans des entreprises en difficulté et en organisant des événements mondains, ce qui lui permet de masquer la nature frauduleuse de ses activités. Cependant, c’est son implication dans le Crédit Municipal de Bayonne qui va provoquer sa chute.
L’escroquerie du Crédit Municipal de Bayonne
En 1928, Stavisky décide de s’impliquer dans une institution financière peu connue, le Crédit Municipal de Bayonne. Cette institution de prêt sur gage est traditionnellement destinée à aider les personnes en difficulté financière, mais Stavisky y voit une opportunité pour orchestrer une fraude massive. Il prend le contrôle de cette institution en manipulant ses dirigeants et en plaçant des hommes de paille à des postes clés.
Le cœur de l’escroquerie repose sur l’émission de faux bons de caisse garantis par le Crédit Municipal de Bayonne. Entre 1928 et 1933, Stavisky émet plus de 200 millions de francs de ces bons, largement surévalués et sans réelle garantie. Il utilise les fonds obtenus pour financer son style de vie extravagant, corrompre des officiels et maintenir une façade de respectabilité.
Cependant, en décembre 1933, les autorités fiscales commencent à s’intéresser de près aux opérations du Crédit Municipal de Bayonne. Des irrégularités flagrantes sont rapidement découvertes, et un mandat d’arrêt est émis contre Stavisky. Sentant le danger, Stavisky prend la fuite, se réfugiant d’abord en Suisse puis en Savoie.
Le 8 janvier 1934, Stavisky est retrouvé grièvement blessé dans un chalet à Chamonix, avec deux balles dans la tête. Bien que la version officielle conclue à un suicide, de nombreux indices suggèrent qu’il aurait été assassiné pour protéger ses complices haut placés. Ce mystère alimente les spéculations et renforce l’indignation publique.
La révélation de l’escroquerie provoque une crise politique majeure. Camille Chautemps, alors président du Conseil, est contraint de démissionner en janvier 1934 en raison des liens présumés entre certains membres de son gouvernement et Stavisky. Albert Dalimier, ministre des Colonies, est également contraint de quitter son poste. Jean Chiappe, préfet de police de Paris, est limogé pour sa gestion controversée de l’affaire et ses liens supposés avec les cercles corrompus.
Les émeutes du 6 février 1934, orchestrées par des ligues d’extrême droite et des organisations nationalistes, marquent le point culminant de la crise. Ces manifestations violentes, qui font une quinzaine de morts et des centaines de blessés, illustrent le rejet croissant de la Troisième République par une partie de la population. Elles précipitent la fin du gouvernement Daladier et contribuent à l’instabilité politique qui caractérise la France des années 1930.