Victor Lustig : l’homme qui vendit la Tour Eiffel

Dans le Paris des Années folles, Victor Lustig, met au point l’escroquerie la plus audacieuse de tous les temps. En se faisant passer pour un haut fonctionnaire, il persuade un ferrailleur que la Tour Eiffel, jugée trop coûteuse, va être démantelée…
La naissance d’un escroc hors-pair
Né sous le nom de Robert V. Miller, Victor Lustig voit le jour en 1890 dans une famille bourgeoise de Bohême, alors dans l’Empire austro-hongrois. C’est un étudiant brillant qui maîtrise plusieurs langues. Mais son esprit vif et son goût pour l’argent facile le détournent très tôt des études. Il préfère se lancer dans une vie de crime, commençant par arnaquer des joueurs riches lors de traversées en paquebots. Son élégance, son charme et son aisance sociale lui valent le surnom de « Comte », une façade parfaite pour ses activités frauduleuses.
Avant le coup d’éclat de la Tour Eiffel, Lustig avait déjà perfectionné plusieurs arnaques. L’une de ses favorites était la « machine à dupliquer les billets », un coffre en acajou qu’il présentait comme étant capable de copier les billets de banque. En réalité, l’appareil ne faisait que restituer des billets qui y avaient été préalablement dissimulés. Lustig vendait cette machine à des victimes qu’il avait soigneusement choisies pour leur cupidité et leur crédulité.
En 1925, Lustig se trouve à Paris. C’est en lisant un article de journal sur les problèmes d’entretien de la Tour Eiffel que lui vient une idée. Le monument, initialement construit pour être temporaire, est encore perçu par certains comme une verrue métallique. L’article évoque, sur un ton presque humoristique, la possibilité de la vendre pour se débarrasser de son coût. Cette simple boutade est l’étincelle qui allume la mèche.

La vente de la Tour Eiffel
Une fois son idée en tête, Lustig passe à l’action. Il se fait fabriquer de faux papiers en tous genres, dont des cartes de visite qui le présentent comme le « directeur général adjoint du Ministère des Postes et Télégraphes ». Depuis une suite de l’hôtel de Crillon, un palace prestigieux parisien, il convoque une petite poignée de ferrailleurs triés sur le volet. Il les reçoit dans un cadre feutré et leur explique, avec le sérieux d’un haut fonctionnaire, que la Ville de Paris a pris une décision secrète : la Tour Eiffel va être démontée et vendue pour la ferraille.
Pour donner plus de crédit à son histoire, Lustig emmène les ferrailleurs en limousine jusqu’au monument. Il se présente au guichet avec ses fausses accréditations et fait visiter les lieux au groupe, leur détaillant les 7 300 tonnes d’acier qui feront bientôt l’objet d’un marché juteux. Cette visite n’est pas seulement une démonstration ; c’est aussi pour Lustig l’occasion d’identifier sa cible. Il repère André Poisson, un ferrailleur qui semble particulièrement impressionné et avide de saisir cette opportunité pour assoir sa réputation dans le milieu des affaires parisien.
Le détail qui acheva de convaincre la victime fut un vrai coup de maître. La femme de Poisson, méfiante, pousse Lustig à organiser une seconde rencontre. C’est alors qu’il change de ton et se confie : il prétend que son salaire de fonctionnaire est modeste et qu’il cherche des moyens d’arrondir ses fins de mois. Poisson, interprétant cela comme une demande de pot-de-vin, est soudain rassuré. Cette demande de corruption, loin de l’alerter, le convainc au contraire de l’authenticité de l’affaire. Il paie sans sourciller la somme convenue pour l’achat de la Tour, à laquelle il ajoute un généreux dessous-de-table pour s’assurer les bonnes grâces du « fonctionnaire ».

L’imposteur en fuite
Aussitôt le chèque encaissé, Victor Lustig et son complice Dan Collins prennent précipitamment le train pour Vienne, une valise pleine de billets à la main. Ils guettent ensuite les journaux, s’attendant à ce que le scandale éclate. Mais contre toute attente, l’affaire n’est jamais médiatisée. André Poisson, rongé par la honte d’avoir été si facilement dupé, ne porte pas plainte. Craignant le ridicule et une atteinte à sa réputation dans le milieu des affaires, il préfère assumer sa perte en silence.
Emballé par ce premier succès, Lustig retourne à Paris six mois plus tard pour tenter de reproduire exactement le même scénario avec un nouveau groupe de ferrailleurs. Mais la chance tourne. L’un des nouveaux clients, plus méfiant, signale l’affaire aux autorités avant que la transaction n’ait lieu. Lustig est contraint de fuir précipitamment l’Europe pour retourner aux États-Unis, où il reprend ses arnaques. Son arrogance et ses activités finissent par avoir raison de lui : il est arrêté en 1935 pour un vaste réseau de contrefaçon de dollars. Condamné à une lourde peine, il meurt en prison en 1947.


