Vidocq, ex-voyou au service de la loi

Vidocq voit le jour dans une France en pleine ébullition. Dès l’adolescence, il réinvente les règles à sa façon, mêlant petits délits et évasions audacieuses. La police, dépassée, ignore encore qu’il deviendra bientôt son meilleur atout.
L’enfant terrible d’Arras
Eugène-François Vidocq naît dans une famille de boulangers modestes. Très tôt, il montre un tempérament rebelle. À 16 ans, il est déjà connu pour vols et escroqueries. En 1791, il goûte à la prison pour la première fois, mais s’évade sans tarder. Tandis que la Révolution bouleverse la France, lui perfectionne un autre art : celui de la ruse et du déguisement.
Au tournant des années 1790, Vidocq s’enfonce un peu plus dans la marginalité. Il rôde dans les rues de Paris, un sac sur le dos, prêt à tout pour survivre. Escroc, mais aussi observateur, il s’imprègne de l’atmosphère des faubourgs, se liant à des clandestins et des repris de justice. La police, encore mal organisée, peine à contrôler ce désordre. Vidocq profite de ces failles pour se faufiler entre les mailles du filet.
Malgré plusieurs condamnations au bagne, dont une à Brest en 1796, Vidocq perfectionne son art de la dissimulation. Les registres mentionnent ses multiples identités et ses évasions spectaculaires. Sans le savoir, il se construit déjà une réputation. Pour la justice, pourtant, il reste un délinquant parmi d’autres.
C’est finalement vers 1809 qu’il prend conscience de son potentiel. Plutôt que de se confronter éternellement à la loi, il tente de la retourner à son profit. Il approche des officiers, propose des informations. Ce n’est pas encore une alliance solide, mais l’idée est là : trahir ses anciens complices pour échapper à une nouvelle condamnation. Les premières affaires qu’il contribue à résoudre convainquent ses supérieurs qu’ils tiennent peut-être un atout.

Fondateur de la Sûreté de Paris
Dès 1809, Vidocq travaille officiellement pour la police parisienne. Il s’infiltre chez les criminels, use de faux noms et d’une formidable capacité à se fondre dans la foule. En 1811, il propose la création de la Sûreté de Paris, une brigade composée d’anciens criminels. L’idée, audacieuse, choque les traditionalistes, mais Vidocq s’entoure de personnes qui, comme lui, savent mieux que quiconque comment opère la pègre.
Ses résultats sont impressionnants. Vols démantelés, gangs capturés, receleurs confondus. Les autorités restent mitigées. On l’admire pour son efficacité mais on lui reproche son passé. Lui, en homme de terrain, se moque de plaire aux bureaux.
Sa réputation attire aussi l’attention de grands écrivains (Balzac, Hugo). Balzac crée Vautrin à partir de ses récits, Hugo puise en lui l’inspiration de Jean Valjean et de Javert.
Pourtant, les différends internes minent la Sûreté. Certains officiers craignent qu’un ancien forçat ne puisse jamais être digne de confiance. D’autres jalousent son succès ou réprouvent ses méthodes peu conventionnelles. En 1827, lassé des intrigues, Vidocq rend son tablier. Il y retournera brièvement en 1832, mais la confiance n’est plus au rendez-vous.

La première agence de détectives privés
En 1833, Vidocq crée le « Bureau de Renseignements pour le Commerce », la première agence de détectives privés en France. Libéré du cadre policier, il met son expérience au service des banques et des négociants. Sa méthode, directe et efficace, attire une clientèle variée. L’État, lui, voit d’un mauvais œil ce justicier indépendant que certains qualifient de mercenaire.
Ses Mémoires, publiées en 1828, entretiennent la controverse. Le public y découvre un homme audacieux, fier de ses évasions et de ses méthodes peu communes. Vidocq y détaille la filature, le déguisement, l’observation, des pratiques encore absentes des manuels de police. Les fonctionnaires l’accusent d’exposer les coulisses, lui répond qu’il ne fait que raconter la vérité d’une époque où le silence valait souvent complicité.
Sa vie privée, elle, reste agitée. Liaisons, séparations, goût du risque et du désordre. Pourtant, son instinct de justicier ne faiblit jamais. Il pourchasse escrocs et faussaires, fidèle à sa propre idée de l’honnêteté. Arrêté à plusieurs reprises, en 1837 puis en 1842, il comprend qu’il restera toujours un suspect aux yeux du pouvoir.
Vidocq meurt le 11 mai 1857, sans hommage officiel. Ses idées, elles, lui survivent : fiches criminelles, infiltration, psychologie des suspects. Autant d’outils devenus, depuis, les fondations mêmes du métier de policier.



